D’après Le Point – 31/08/2006 – N°1772 – Dossier réalisé par Philippe Houdart, François Malye, Jérôme Vincent, avec Hervé Denyons, Christophe Labbé, Arnaud Morel, Olivia Recasens et Stéphane Siret.
Pour recenser les actes de violence à l’Ecole, le ministère de l’Education nationale a conçu une base de données, dénommée SIGNA, une des rares au monde à fonctionner.
Une circulaire parue au Bulletin officiel de l’Education nationale le 31 août 2006 rappelle que « la saisie (…) doit être systématique dans tous les établissements ». Ce logiciel a été inauguré à la rentrée 2001-2002 et couvre l’ensemble des collèges et lycées publics ainsi que les écoles du premier degré.
Les actes graves recensés incluent les faits dont « la qualification pénale est évidente », ou « qui ont fait l’objet d’un signalement (à la police, à la justice ou aux services sociaux du conseil général) » et/ou les « actes qui ont eu un retentissement important dans la communauté scolaire ». Les actes d’incivilité sont donc exclus du champ de cette enquête. La saisie, qui se fait incident par incident, est de la responsabilité, dans le second degré, des chefs d’établissement ou des conseillers d’éducation, qui reçoivent les plaintes des professeurs, des autres personnels de l’établissement, des élèves voire des parents d’élèves. Chaque incident survenant dans l’établissement ou à ses abords est décrit de manière très codifiée. Il répond à un type d’événement grave précis parmi 26 définitions différentes :
1. Bizutage
2. Insultes ou menaces graves
3. Racket ou tentative, extorsion de fonds
4. Violences physiques à caractère sexuel
5. Violences physiques avec arme ou arme par destination
6. Violences physiques sans arme
7. Fausse alarme (incendie, bombe)
8. Intrusion de personnes étrangères à l’établissement
9. Jet de pierres et autres projectiles
10.Port d’arme à feu
11. Port d’arme autre qu’arme à feu
12. Tentative d’incendie
13. Dommages aux locaux
14. Dommages au matériel de sécurité
15. Dommages au matériel autre que le matériel de sécurité
16. Dommages aux biens personnels autres que véhicules
17. Dommages aux véhicules
18. Incendies
19. Tags
20. Vol ou tentative
21. Tentative de suicide
22. Consommation de produits stupéfiants
23. Trafic de produits stupéfiants
24. Trafic divers autre que de produits stupéfiants (recel …)
25. Autres faits graves
26. Actes divers
Les suites données à ces évènements graves sont également indiquées :
Signalement effectué ou non aux services sociaux du conseil général
Signalement effectué ou non à la police ou à la gendarmerie
Signalement effectué ou non à la justice
Plainte déposée ou non par l’institution
Plainte déposée ou non par le personnel de l’éducation nationale
Plainte déposée ou non par l’élève ou la famille
Suite interne prise ou envisagée : tenue d’un conseil de discipline, exclusion sans passage devant un conseil de discipline, avertissement, blâme, ou aucune suite interne.
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285 « événements graves » survenus durant l’année scolaire 2005/2006. Huit par semaine… Le collège Condorcet à Nîmes est l’établissement qui a signalé le plus de faits dans la base de données Signa, système informatique de recueil des actes de violence mis en place par l’Education nationale depuis la rentrée 2001. L’ambiance de ce collège de 560 élèves situé dans le quartier sensible de Pissevin peut se résumer en quelques chiffres : dans l’année, on y a recensé 94 violences physiques sans armes, 37 jets de pierres ou autres projectiles, 8 violences à caractère sexuel, 66 insultes ou menaces graves, 22 dommages au matériel, aux véhicules et aux locaux, dont un incendie. Trois élèves ont été trouvés porteurs d’une arme ; enfin, 55 autres actes allant du tag au vol, en passant par la consommation de stupéfiants, ont été comptabilisés.
« Nous remplissons scrupuleusement cette base », confirme calmement Didier Batlle, 56 ans, principal du collège, qui ne nie pas la violence de l’établissement qu’il dirige depuis 2005. « Nous faisons partie des cinq collèges de l’académie qui appartiennent au programme « Ambition réussite » et vont voir leurs équipes renforcées. J’attends sept professeurs de plus. » Cette année, douze conseils de discipline se sont réunis et dix élèves ont été renvoyés. « Des cas vraiment lourds. L’un avait déjà été exclu temporairement, il l’a été définitivement cette fois-ci pour s’être livré à des attouchements sexuels sur une de ses camarades de classe. Un autre venait d’un établissement spécialisé pour les adolescents qui ont des troubles psychologiques. Mais ils n’avaient plus de place. Alors, il est arrivé chez nous. On a dû l’exclure lui aussi : il représentait vraiment un danger pour la communauté. » Car, parfois, la situation peut tourner au drame, comme en 2004, quand un élève de 14 ans a poignardé l’un de ses camarades devant le collège. Heureusement, ses blessures n’étaient pas mortelles.
Ces chiffres, établissement par établissement, personne, au ministère de l’Education nationale, ne voulait les voir publiés. La première surprise de tous ceux qui ont été contactés dans le cadre de cette enquête est que la base de données Signa ait pu être diffusée, tant les informations qu’elle recèle sont explosives.
Aujourd’hui, après dix-huit mois de bataille juridique avec le ministère (voir encadré), Le Point est en effet en mesure de dresser la liste des 450 établissements du second degré public les plus violents de France. Et, d’ici une semaine, les chiffres de tous les collèges, lycées et lycées professionnels publics (hors Tom) seront mis en ligne sur notre site Internet (www.lepoint.fr). « Cela fait longtemps qu’on demande au ministère quels sont les 10 % d’établissements qui totalisent à eux seuls la moitié des événements graves, explique Farid Hamana, président de la FCPE, l’une des deux principales associations de parents d’élèves. Cela nous a toujours été refusé sous prétexte qu’il ne faut pas les stigmatiser. » « Il n’y a pas d’omerta, répond Jean-Claude Emin, de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance au ministère de l’Education nationale (DEPP), qui centralise la base. Signa est un bon thermomètre. Nous sommes d’ailleurs l’un des rares pays à posséder un tel outil. Mais nous sommes réservés lorsqu’il s’agit de l’utiliser pour comparer les établissements. » Bel euphémisme, car Eric Debarbieux, directeur de l’Observatoire international de la violence à l’école, est, lui, stupéfait. « Je n’en reviens pas que vous ayez obtenu Signa, dit-il. Je l’ai demandé, en tant que chercheur, quand je faisais partie du Comité national de lutte contre la violence à l’école mis en place par Jack Lang. Le ministre a donné des instructions pour que l’on me la communique. J’attends toujours. » La publication de ces chiffres, Eric Debarbieux la trouve « salutaire ». « Il est normal qu’ils soient portés à la connaissance du public, et notamment des parents d’élèves, même si Signa ne dit pas tout. Je pense qu’il faut améliorer la connaissance à partir d’enquêtes de terrain. » (Voir interview page 55.)
Du bizutage aux violences avec armes. Que contient Signa ?
La base ne comptabilise que les faits les plus graves, afin d’éviter qu’on ne confonde le chahut d’une classe et les actes les plus violents. Il s’agit donc des événements dont « la qualification pénale est évidente », ceux qui ont fait « l’objet d’un signalement à la police, à la justice ou aux services sociaux » ou qui ont eu « un retentissement important dans la communauté éducative ». Les incivilités sont donc exclues du champ de cette enquête, qui couvre l’ensemble des collèges et lycées publics, ainsi que les écoles du premier degré. Celles-ci n’ont pas été retenues dans le cadre de cette publication, car à 95 % les violences scolaires recensées dans Signa le sont dans le second degré. Pour le ministère de l’Education nationale, Signa est un baromètre de la violence qui a pour objectif de comptabiliser de manière exhaustive et déclarative le nombre d’actes graves survenus dans un établissement et ses abords et de mesurer leur évolution au fil du temps.
Après cinq années d’exploitation, le système fonctionne globalement de manière très sérieuse et renvoie des données fiables. La saisie, qui se fait incident par incident, est de la responsabilité, dans le second degré, des chefs d’établissement ou des conseillers d’éducation, qui reçoivent les plaintes des professeurs, des autres personnels de l’établissement, des élèves, voire des parents d’élèves. Chaque incident est décrit de manière très codifiée et entre dans l’une des 26 catégories d’événements graves, allant du bizutage aux actes les plus violents. Toujours à l’aide de codes, l’auteur est décrit anonymement (élève, famille d’élève, personne extérieure à l’école, enseignant…), son sexe, son âge sont déterminés, et il en va de même pour la victime. La base recense les signalements à diverses autorités, et si les événements survenus ont entraîné ou non un dépôt de plainte de l’institution, du personnel de l’Education nationale, ou encore de l’élève ou de sa famille, et si des suites internes (conseil de discipline, avertissement…) ont été prises ou non. Enfin, depuis janvier 2004, la motivation à caractère raciste ou antisémite d’un acte peut être renseignée.
Au total, selon Signa, 82 007 faits ont été recensés en 2005/2006 dans 7 924 établissements du second degré public (hors Tom). Ceux-ci enregistrent donc, à nouveau, une légère augmentation de la violence : + 1 % par rapport à l’année précédente. Rien à voir cependant avec le bond de 12 % de l’année 2003/2004. Ce sont les lycées professionnels, avec 15 faits en moyenne par an, qui sont les plus violents, suivis de près par les collèges (14,8) et les lycées (10). Les actes les plus fréquents sont les violences physiques sans arme (29,7 %), suivies des insultes et menaces graves (26 %). Le port d’arme et les violences sexuelles restent peu nombreux. Quant au port d’arme à feu, 35 ont été recensés. Enfin, 88 % de ces événements ont donné lieu à des suites internes contre leurs auteurs et 23 % à des plaintes.
Mais, pour les 450 établissements les plus violents, même les spécialistes de l’Education nationale semblent sans illusions. Dans sa note d’information 2004, Rodolphe Houllé, de la DEPP, estimait que « le grand nombre de signalements relatifs à des insultes ou à des violences physiques sans arme dans un certain nombre d’établissements laisse penser que ceux-ci vivent dans un « climat » scolaire de perpétuelle tension. […] Les établissements qui signalent les actes les plus graves sont également en général fortement exposés à la violence d’une manière globale ». Il suffit de se reporter aux dépêches de l’Agence France Presse pour mieux saisir leur quotidien : au lycée professionnel Amyot-d’Inville de Senlis (63 incidents en 2005/2006), c’est le proviseur qui, en juin, est « caillassé » par des jeunes quand il passe en voiture. Une situation qui n’est pas nouvelle. En 2001, l’ensemble du personnel avait fait grève contre la violence à la suite d’agressions d’enseignants. Au lycée professionnel Lino-Ventura d’Ozoir-la-Ferrière (66 faits), les 80 professeurs ont exercé en mars 2006 leur droit de retrait : une de leurs collègues avait échappé de peu au jet d’un projectile métallique. Au lycée Paul-Valéry à Paris (43 incidents), c’est un élève mécontent d’une mauvaise note qui tente d’étrangler sa professeure avant d’être maîtrisé. Et bon nombre de ces établissements vivent dans ce climat depuis des années, parfois même des décennies. Le collège Albert-Camus de Clermont-Ferrand a recensé 123 actes en 2005/2006, mais en 1998 une dépêche signalait déjà un événement grave. A l’époque, un élève de 16 ans avait été écroué pour avoir roué de coups un enseignant qui avait juste sermonné sa petite soeur. Quant au lycée Les Fontenelles de Louviers (73 incidents cette année), certains de ses élèves ont été jugés pour avoir jeté du trichloréthylène sur un professeur. C’était il y a dix-huit ans, en 1988…
Si l’exploitation de Signa livre une photo exceptionnelle de la violence scolaire, c’est à deux réserves près. D’abord, le privé sous contrat ne sera intégré à la base qu’à partir de janvier 2007. Or, selon les chercheurs de l’Inserm qui ont mené des enquêtes sur la violence à l’école, les problèmes existent autant dans le privé que dans le public (voir encadré page 58).
Autre faiblesse de la base Signa, 6 % des établissements publics (493 sur 7 924) ne la remplissent pas encore. Parmi ces non-répondants, on trouve quelques perles comme les prestigieux lycées Henri-IV, Lavoisier et Janson-de-Sailly à Paris, qui semblent au-dessus de ces problèmes. Plus ennuyeux, dans plusieurs départements (Alpes-Maritimes, Drôme, Var), seuls deux tiers des établissements ont rempli la base. En Ile-de-France, c’est la situation du département de la Seine-Saint-Denis, où près d’un quart des collèges et lycées n’ont pas répondu, qui a de quoi étonner. Leurs chiffres dissimuleraient-ils un secret de plus ? En réalité, l’académie de Créteil, depuis 1996, dispose d’un observatoire et de son propre recueil d’information. Celui-ci fait double emploi avec Signa et dissuade certains chefs d’établissement de la remplir. Mais ni Signa ni cet observatoire ne semblent refléter le vrai niveau de la violence dans les banlieues sensibles franciliennes. La police estime, elle, que les actes graves y sont en hausse constante (voir encadré page 55).
Quelles sont les causes de cette violence ? Pour Didier Batlle, le principal du collège Condorcet à Nîmes, la ghettoïsation vient en tête des multiples facteurs qui peuvent l’expliquer. « Bon nombre de parents d’élèves qui devraient venir ici en sixième contournent la carte scolaire en raison de la mauvaise réputation du collège. Ceux qui restent appartiennent à des familles monoparentales ou éclatées et vivent dans des quartiers où le chômage sévit à plus de 50 %. Du coup, ici, les enfants partent au quart de tour. Mais ils sont très attachants. La majorité des élèves exclus cette année venaient d’ailleurs d’autres établissements, parfois en cours d’année. Ce sont des cas difficiles qui passent d’un collège à l’autre. Le métier devient compliqué aussi parce que beaucoup de parents ont démissionné et que les autres soutiennent leurs enfants contre vents et marées. » Marylène Cahouet, professeure de français au lycée La Martinière Duchère à Lyon, ancien membre du Comité national de lutte contre la violence à l’école, avance plusieurs raisons pour expliquer l’attitude de ces élèves. « Il y a des causes individuelles comme le pic de l’adolescence. Ensuite, les causes sociales, comme la difficulté de vivre. Enfin, tout ce qui est lié à l’école elle-même : l’orientation par contrainte de ceux qui vont en lycée professionnel, l’échec scolaire, qui rend agressif, fait perdre confiance à l’élève et lui donne de lui-même une image dévalorisée. A cela il faut ajouter qu’il y a de moins en moins d’adultes dans les établissements pour surveiller et encadrer les jeunes. »
Un système criminogène. Mais il y a d’autres raisons, propres à l’organisation de l’Education nationale. Pour Eric Debarbieux, seules des équipes éducatives soudées peuvent faire face à ces phénomènes. Or, dans certains établissements, 80 % des enseignants changent à chaque rentrée scolaire. « Je n’hésite pas à dire que le système de nomination des professeurs du second degré est profondément criminogène. » La révélation de ces chiffres incitera peut-être l’Education nationale à se réformer si elle veut freiner la progression de la violence scolaire. C’est peut-être aussi pour cela qu’elle a opposé une telle résistance à leur divulgation.
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